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Tag 2005: Alexandra LAIGNEL-LAVASTINE - Fondation Charles Veillon

Alexandra Laignel-Lavastine

Prix Européen de l’Essai Charles Veillon 2005, pour
Esprits d’Europe, Paris, Calmann-Lévy, 2005

 

Alexandra Laignel-Lavastine. © Niklaus Stauss, ZurichNée à Paris en 1966, docteur en philosophie, Alexandra Laignel-Lavastine a fait ses études à la Sorbonne avant de se consacrer à une carrière d’essayiste, de journaliste et d’universitaire.

Aujourd’hui reconnue comme l’une des meilleures spécialistes de l’histoire intellectuelle et politique de l’Europe centrale et orientale, elle commence dès le tournant des années 80 à s’intéresser aux penseurs de l’autre Europe. Convaincue que la "morale politique" prônée par les intellectuels opposants de "l’Est" pourrait avoir quelque chose d’essentiel à nous offrir s’agissant de repenser l’horizon éthique de nos démocraties, elle apprend alors plusieurs langues de la région et s’engage activement dans le soutien apporté aux dissidents. La découverte des écrits de Manès Sperber, Leszek Kolakowski, György Konrád ou Timothy Garton Ash, entre autres, tous lauréats du Prix Européen de l’Essai Charles Veillon, jouera à cet égard un rôle clé dans sa formation.

À 20 ans, elle fait ainsi ses débuts à La Nouvelle Alternative, une revue vouée à la défense des droits de l’homme et des libertés démocratiques en Europe de l’Est, que dirige à l’époque l’historien d’origine tchèque Karel Bartosek, exilé à Paris. C’est aussi au cours de cette période qu’elle réalise ses premiers grands reportages en Tchécoslovaquie et en Roumanie, et qu’elle s’implique dans le lancement de l’OpÉration Villages Roumains, une initiative indépendante belge visant à faire adopter, par des communes de l’Ouest, des villages roumains menacés de destruction par Ceauşescu.

Arrive la chute du Mur de Berlin en 1989. Alexandra Laignel-Lavastine se rend à Prague, où elle couvre la Révolution de velours pour la télévision, avant de poursuivre sa route vers la Roumanie, où le régime communiste s’effondre à son tour. Elle s’installe alors pendant un an à Bucarest, où elle travaille comme correspondante pour divers journaux, avant de devenir chargée de mission à la Fondation Est LibertÉs, une organisation créée en 1992 afin de soutenir le processus de transition démocratique dans l’Europe post-communiste. Elle effectuera, à ce titre, de nombreux séjours dans les Balkans.

Au cours de la seconde moitié des années 90, elle sera un temps directrice de recherches à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), rédactrice en chef de la Revue internationale et stratÉgique du même institut, et chargée de conférences à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Elle se voit par ailleurs invitée dans diverses universités étrangères, dont l’Université de New York (NYU). Depuis la fin des années 90, celle que Jorge Semprun qualifie de "remarquable analyste des traditions culturelles de l’autre Europe" a choisi de recentrer son travail sur son œuvre d’essayiste, tout en collaborant régulièrement au supplément littéraire du quotidien Le Monde et à l’émission "Nouvelle Europe" sur RFI.

De ce parcours, plusieurs livres sont nés qui ont tous en commun d’instruire une question politique au travers de biographies intellectuelles. Deux d’entre eux explorent ce qu’on pourrait appeler "la part obscure" ou les zones d’ombre de l’histoire intellectuelle est-européenne. Tel est le cas de son ouvrage sur le philosophe roumain Constantin Noïca (1909-1987), Nationalisme et Philosophie (1998), mais aussi de celui sur Cioran, Eliade et Ionesco : L’Oubli du fascisme (2002). Dans les deux cas, l’auteur a montré l’extrême ambivalence des relations que de nombreux penseurs issus de ces nations incertaines n’ont cessé d’entretenir, au XXe siècle, avec l’idéal émancipateur de la modernité. Le but : éclairer les ressorts qui, à l’Est du Vieux Continent, ont longtemps découragé l’élaboration d’une réflexion critique sur le monde moderne capable de maintenir, avec les Lumières, l’idéal d’une vie pour la liberté, dans le risque démocratiquement assumé d’une perpétuelle remise en question du sens donné ; mais aussi, et dans le même temps, de sauvegarder, contre le modernisme, l’égard dû aux cultures minoritaires, autrement dit le maintien d’une part d’indisponible, non susceptible d’être intégralement transformée en fonds idéologique au service de l’unité étatico-nationale. Du fascisme de l’entre-deux-guerres au national-communisme, le propos était donc d’interroger, à partir du cas roumain, la façon dont les représentations de la question nationale et l’intériorisation des dilemmes qui lui sont associés (hantise de l’arriération, syndrome de la peur pour la survie de la communauté nationale) ont pu interagir pour déboucher sur la légitimation d’idéologies totalitaires entrant simultanément en conflit avec la cause de l’universel et avec la cause de la pluralité.

En contre point, Alexandra Laignel-Lavastine s’est également attachée à faire ressortir la part lumineuse de l’héritage que nous ont légué un certain nombre de penseurs universalistes et humanistes de l’autre Europe. Et de soutenir, à rebours de bien des idées reçues, que s’il a existé une Europe de la pensée, une obstination héroïque à poser la question de son sens, de sa "finalité spirituelle" (Husserl), mais aussi des valeurs qui la fondent, c’est bien là, à Prague, Budapest ou Varsovie, en ces lieux singulièrement malmenés par l’Histoire, que l’effort d’élucidation quant à savoir ce qu’être Européen veut dire a paradoxalement été mené le plus loin, et avec la plus profonde exigence, tout au long du siècle écoulé. Parmi ces "héros de notre temps", exemplaires dans leur combat contre le nazisme et ses collaborateurs locaux comme dans leur résistance intellectuelle et morale au communisme, se détache la figure socratique du philosophe et dissident tchèque Jan Patočka (1907-1977), auquel elle consacre un premier ouvrage, Jan Patočka : l’esprit de la dissidence (1998). On aurait cependant tort de reléguer cette pensée dissidente dans l’ère du révolu ou de la réduire au seul combat contre l’oppression communiste. Par leur réflexion sur le Mal en politique, mais aussi par le regard impitoyablement lucide que portent ces penseurs sur les dérives totalitaires qui menacent les sociétés démocratiques contemporaines, asservies à la dictature de la quotidienneté, le message de ces grandes consciences européennes pourrait bien se révéler plus actuel que jamais. C’est dans le prolongement de cette thèse qu’il convient de situer Esprits d’Europe.

L’ouvrage: Esprits d’Europe

Pourquoi donc réalisons-nous l’Europe? Il importerait de se souvenir que cet ensemble politique a d’abord été pensé pour ne plus revivre les catastrophes du XXe siècle, toutes surgies à l’est du continent. Comment faire en sorte que l’homme ne puisse plus tout faire de l’homme ? A cette question, de nombreux intellectuels d’Europe centrale et orientale ont consacré leur oeuvre, leur engagement, leur vie même. Aussi est-il plus que temps de redécouvrir cette extraordinaire communauté d’esprits dominée par trois figures aussi exemplaires qu’emblématiques : Czesław Miłosz (1911-2004), poète et essayiste polonais, prix Nobel de littérature ; Jan Patočka (1907-1977), philosophe tchèque, grand inspirateur de la dissidence et premier porte-parole, avec Václav Havel, de la Charte 77 pour les droits et libertés civiques, mort après de longs interrogatoires de la police ; et István Bibó (1911-1979), penseur politique et héros de la révolution de 1956, qui a inspiré l’intelligentsia hongroise déçue par le marxisme.

C’est autour des idées, de l’influence et du rayonnement de ces trois "héros de notre temps" qu’Alexandra Laignel-Lavastine a construit son essai. L’auteur montre que la tentative de ces penseurs en vue de repenser en profondeur les fondements éthiques de la civilisation européenne n’est pas derrière nous, mais devant nous. Entre philosophie, histoire des idées et biographies intellectuelles, cet essai nous immerge dans la vie et la pensée de ces hommes hors du commun, en même temps que dans l’époque tragique qui les a façonnées. Nous percevons aussi affinités et influences réciproques, d’Arthur Koestler à Hannah Arendt, de Max Weber à Hermann Broch, de Husserl et Musil à Milan Kundera.

Aujourd’hui, l’actualité des opposants de Varsovie, de Prague et de Budapest se voit encore renforcée par le fait que nombre, à l’Est, se précipitent dans l’empire de la marchandisation au moment même où, à l’Ouest, la démocratie entre dans une crise profonde. C’est dire que l’Est, par la voix critique et souvent prophétique de ses penseurs, aurait aujourd’hui beaucoup à offrir à l’Ouest pour que la réunification ne se fasse pas par le désenchantement de la démocratie et le rejet des droits de l’homme. Bref, pour que l’Europe ne tourne pas à l’anti-utopie.

Nous voulons ajouter à cette description du livre de Mme Laignel-Lavastine par son éditeur, un des nombreux éléments qui a été apprécié de notre jury quant à la forme adoptée et au contenu: à l’heure où le repli individualiste se manifeste en laissant s’instaurer, ce que d’aucuns font passer pour une "Nécessité historique", voire un "inéluctable", ce qui devient rien de moins que la loi du plus fort (hier comme aujourd’hui), ce livre témoigne de la force incomparable de la personne, seule à même de défendre la liberté de l’individu et, partant, de laisser ouvert et inconnu son avenir.

A travers l’entrelacs des voix dissidentes portées au haut rang de témoins, il nous est communiqué l’énergie de croire en cette entité unique que l’on voudrait nous faire admettre de multiples façons comme remplaçable. C’est, en effet, autant les particularités de chacun des acteurs et penseurs et leurs engagements, que leurs cheminements intellectuels faits de doutes douloureux et de constats, qui nous font apparaître, lumineuse, toute la dimension de la personne. Nous citerons ce petit passage du livre qui rapporte un propos de Kazimierz Brandys (Pologne): "A partir du moment où je cesse d’être à moi-même ma propre nécessité, je réduis d’autant la réalité en m’en retirant, en retirant ma volonté. Je commence dès lors à me soumettre à une abstraction impersonnelle qui est indirectement mon œuvre propre." C’est dire l’ancrage de l’exigence éthique.

 

Allocutions, laudatio et conférence de la lauréate :

 

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Publié par la Fondation Veillon le 01 mars 2005