Club des amateur·es de l’Essai

Pour l’amour de l’essai et du dialogue
Entretien avec Cyril Veillon

Le président de la Fondation Charles Veillon, qui remet chaque année le Prix Européen de l’Essai, lance le Club des amateur·es de l’Essai.

Vous lancez en collaboration avec la Ville de Lausanne le Club des amateur·es de l’Essai, un club de lecture dédié au genre « essai ». Pourquoi ?

Nous souhaitons créer une communauté de lectrices et lecteurs intéressé·es au genre de l’essai car celle-ci n’existe pas vraiment en dehors de groupes d’intérêts très spécifiques centrés sur des questions scientifiques ou sociales. Créer un lieu d’échange autour de l’essai devrait pouvoir enrichir notre expérience de la lecture. Lorsqu’un ouvrage nous parait important, parfois digne de recevoir le Prix Européen de l’Essai, mais qu’il est très hermétique de par l’écriture ou la thématique, nous nous posons souvent la question au sein du jury de savoir si nous pourrions le recommander à nos ami·es. Je suis curieux d’ouvrir cette question de l’intérêt d’un livre versus son accessibilité au sein d’un cercle plus large de personnes qui peuvent apporter différentes perspectives.

L’essai a la réputation d’être plus difficile d’accès que le roman. A tort ou à raison ?

Un essai est rarement un page-turner. Il n’a pas vocation à être soutenu par une trame narrative qui nous tient en haleine. C’est tout l’intérêt de l’essai qui permet à un·e scientifique, un·e historien·ne ou un·e politicien·ne d’accéder à un lectorat en dehors de sa propre discipline. La lecture est donc parfois plus difficile car elle fait appel à des références qui ne nous sont pas familières, mais elle peut néanmoins nous informer en profondeur sur une thématique, sans que nous ayons besoin d’être des spécialistes.

La Fondation Charles Veillon remet chaque année depuis 1975 le Prix européen de l’essai. Avec quelle mission ?

La Fondation a pour mission de créer des lieux de dialogues où se confrontent les opinions et les expériences afin de promouvoir une communauté humaine vivable, basée sur l’écoute d’autrui. Le Prix Européen de l’Essai, outre la promotion qu’il apporte à un genre encore peu soutenu, peut être aussi vu comme un espace de réflexion littéraire, intellectuel et critique qui n’est pas réservé au monde académique et aux écoles.

Qu’est-ce qu’un bon essai à vos yeux et ceux du jury du prix ?

Nous avons une charte pour orienter nos choix. Elle dit entre autres que l’essai doit traiter d’une problématique liée à l’actuel, afin que la lectrice ou le lecteur développe sa propre réflexion, voire agisse. Un bon essai serait celui qui nous permet d’orienter nos conduites par rapport au «vivre ensemble» dans un monde ouvert. Notre charte nous demande aussi de faire attention à la forme narrative, qui doit être accessible à un lectorat non spécialiste.

Quels sont les trois essais qui ont marqué votre vie de lecteur et citoyen ?

Je citerais deux essais qui se lisent comme des romans: Sapiens de Harari, qui arrive à nous faire prendre une distance vertigineuse pour analyser l’histoire humaine et comprendre ses apparentes contradictions. The Game de Barrico, qui nous permet de comprendre l’origine de la révolution numérique et d’accepter la mutation qu’elle provoque dans nos existences.

J’aimerais aussi citer Afropéens, Prix Européen de l’Essai 2021: d’un point de départ subjectif, il décrit une réalité européenne qui fait partie de notre quotidien, qui est la conséquence des choix historiques de l’Europe au moment de la colonisation et de la reconstruction européenne après les guerres, mais que nous continuons d’ignorer à l’heure actuelle.

Lausanne, septembre 2021